
Une hygiène corporelle est importante pour l’image de la personne, mais aussi pour le maintien d’une peau de qualité (confort, absence de lésions ou de prurit). En institution, la toilette peut aussi être importante pour limiter les odeurs corporelles qui seraient inconfortables pour les autres personnes. À l’hôpital, elle est également essentielle avant le passage au bloc opératoire.
Dans les EHPAD, les soignants ont tendance à insister sur l’importance de ce soin qui permet au résident de ressentir un bien-être. Pour atteindre cet état qui est presque le «Saint Graal», la toilette est un des passages obligés de la journée. Ce discours récurrent n’est pas toujours analysé et pourtant, il demande qu’on s’y attarde, car pour beaucoup de personnes ayant une maladie neurodégénérative, ce soin est vécu comme une agression.
Historique de la toilette
Traditionnellement, la population très âgée avait très peu l’habitude de se laver : le dimanche pour aller à la messe, puis, elle remettait les vêtements propres pour la semaine au retour de l’église. Les maisons ne possédaient pas toutes des salles de bain et il était fréquent pour la famille de se laver à tour de rôle, dans un bac en zinc dans la cuisine.Par contre, l’eau de Cologne était utilisée afin de se rafraichir. Elle reste donc importante pour la représentation d’une toilette aboutie, même si la personne âgée a perdu le sens de l’odorat.
Le savon a été créé, dans l’antiquité à Alep, il a progressivement gagné le bassin méditerranéen, mais les Romains l’utilisaient peu, car il était trop onéreux. Ils utilisaient donc de l’huile d’olive dont ils s’enduisaient le corps avant de la racler avec un instrument spécifique. Le reliquat de cette huile flottait sur l’eau des thermes…. Ce lieu avait une fonction d’hygiène, mais aussi de lieu de rencontre de la population, c’était le bistrot du village !
Cette pratique va perdurer jusqu’au haut moyen-âge, moment où le catholicisme majore le contrôle sur les corps. Les croyances en vigueur à l’époque insistaient sur la fraîcheur d’un bain froid pour la santé, mais que seul le bain chaud lavait.
Puis arrivent les épidémies de peste et de nouvelles croyances s’élaborent : l’eau chaude engendre des fissures dans la peau et les miasmes s’y logent. Les miasmes étaient une représentation des odeurs fétides et des germes. Pasteur n’était pas encore né…
Dès lors, la toilette quotidienne diminue et les problèmes d’odeur qui en résultent sont combattus par des parfums. L’eau de Cologne voit le jour. Une couche de crasse protège la personne. Le rempart contre les maladies est donc le linge et la toilette sèche voit le jour.
La propreté devient donc corrélée au changement de linge. Le linge de corps a rempli sa fonction quand il est sale. Le fait de l’enlever et de mettre un vêtement propre rend la personne propre…
Le mot «toilette» voit d’ailleurs son sens évoluer : au 16ème siècle, il nomme une pièce de tissu posée sur une table pour poser les peignes et flacons. Puis, il devient le linge posé sur les épaules au moment du poudrage des cheveux ou de la perruque. Un peu plus tard, il devient le meuble portant le broc d’eau et la cuvette et enfin, il nomme l’action de se laver.
Puis, aux siècles des Lumières, les croyances recommencent à évoluer. L’hygiène collective progresse également, car les habitants des villes sont invités à éliminer leurs déchets dans les premiers tombereaux à ordures qui commencent à passer dans les ruelles.e.
Le début du 19ème siècle voit le début de la mise en place de l’eau courante ainsi que des toilettes à la turque dans les immeubles des grandes villes..
Malgré cela, les croyances perdurent quant à la toilette en indiquant qu’il n’était pas utile de se laver plus d’une fois par semaine «pour que la peau se repose». Nous sommes bien en conflit avec les normes de toilette actuelles !
Sens de la toilette pour un soignant
Quel est le sens de cet acte, si banal en apparence pour un soignant ? Il est au départ, vécu chez beaucoup comme une épreuve initiatique où le choc du corps vieux, flasque, parfois abimé par de nombreuses cicatrices, ramène le soignant à sa propre finitude.
Des émotions violentes peuvent jaillir : peur, angoisse, fuite, colère… Ces moments restent marqués ou gravés dans la mémoire de tout soignant. Il faut aussi apprendre à gérer les odeurs, les gémissements, les agrippements, les coups…
Peu à peu, si tout se passe bien, une maitrise des gestes s’installe, le choc émotionnel s’apaise. Une aisance s’installe progressivement et permet d’accompagner la personne d’une manière individualisée. Mais, certains soignants ne peuvent jamais s’habituer….
Que peut ressentir une personne âgée quand elle sent ou qu’elle voit que son corps dégoute, révulse, incommode…?
Le soignant s’éloigne, attrape des gants pour mettre une distance, parle à son collègue de diverses choses comme si elle n’existait pas ? Elle est remuée comme on déplace un vieil objet lourd et encombrant. Comment la personne âgée peut-elle, à ce moment-là avoir une estime d’elle-même ?
Pratiques hospitalières de toilettes
Traditionnellement, les équipes ne s’interrogeaient pas sur les habitudes antérieures des personnes qui leur étaient confiées.
Ce fonctionnement – ce «lessivage» pourrait-on dire… s’est mis en place historiquement, car les soignants ont appris lors de leurs formations initiales dans le système hospitalier pour des patients malades, donc transpirant à cause des hyperthermies, de la douleur ou de l’anxiété ou encore des sueurs froides, à laver, laver et encore laver.
Qu'est-ce La Bonne Toilette ? Pour nos adolescents et jeunes adultes, elle comprend une douche le matin et une autre le soir avec abondance d’eau et utilisation de produits géniaux qui nous conduisent dans des contrées de rêve où tout «n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté1». Un hiatus terrible entre les pratiques ancestrales d’une grande toilette hebdomadaire et la double toilette quotidienne de la jeunesse… Qui a raison ?
Ne faut-il pas respecter les pratiques des personnes âgées, tout en tenant compte bien entendu de l’état de la peau, des odeurs potentielles et du souhait de la personne ? Le maintien de la dignité de la personne reste essentiel, même si elle-même n’en n’a plus conscience, les équipes soignantes en sont garantes.
Ceci est valable en EHPAD, mais aussi en court séjour… Pourquoi «lessiver» une personne âgée épuisée ? Il est possible de désinfecter méticuleusement le point de ponction avant de piquer, la toilette sera faite ultérieurement sauf si un passage par le bloc opératoire est impératif, car la propreté cutanée y est essentielle afin de limiter les risques infectieux.
Pratiques de toilettes en EHPAD
En EHPAD, ces pratiques de «lessivage» ont perduré très tardivement, voire existent encore…. Là, deux modèles cohabitent dans notre pays : laver des «oreilles au short» ou encore «des oreilles aux genoux». Le visage est lavé à l’eau claire, puis vient le thorax et le dos. Suit la toilette intime et, plus ou moins haut, les cuisses. Quel est le sens de ce fonctionnement ? Pourquoi laver quotidiennement les bras et oublier les pieds ?
Il faut être conscient qu’en EHPAD, la grande majorité de ces résidents ne sont pas malades, ils sont juste «vieux» et ils ont besoin d’aide dans les actes de la vie courante. Certes, par moments, ils peuvent avoir une pathologie et dès lors, certaines pratiques hospitalières peuvent être réactivées2. Mais, dès qu’ils récupèrent, pourquoi persister dans des pratiques qu’ils ne souhaitent pas pour la plupart ?
Mais ne plus laver quotidiennement les résidents peut amener des interrogations dans les équipes sur le sens du travail. Et pourtant, les équipes ont déjà beaucoup évolué sur d’autres axes comme la contention ou l’alimentation. Ces pratiques étaient agressives pour la personne âgée alors que les soignants pensaient bien faire : la personne âgée qui déambulait, était attachée pour son bien : «la pauvre, elle risque de se faire mal en tombant». Puis, une prise de conscience s’est effectuée, amenant les équipes à réaliser que les chutes étaient violentes quand les personnes arrivaient à se détacher. De plus la perte musculaire était très rapide et impactait immédiatement le risque de fracture.
Considérer que cet acte n’est qu’un «lavage», c’est reléguer les soignants au rôle de technicien de surface» Lucien Mias (Papidoc)
Il est temps d’arrêter de culpabiliser en s’imaginant «ne pas être à la hauteur» ou «ne pas être une bonne aide-soignante ou agent» si la toilette n’est pas réalisée à fond ! Puis ensuite vient le moment où cette réflexion collective peut être déclinée au quotidien pour chaque résident dans le cadre de son projet de vie personnalisé.
Une étude menée auprès de 500 résidents en Belgique, a démontré que la toilette sans eau en utilisant des lingettes jetables, permet d’obtenir 2.5 fois plus de toilettes complètes chez les personnes atteintes de démence.
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/opn.12104/abstract.
Ce soin qui est trop souvent banalisé dans les paroles décrivant les pratiques, demande tellement de subtilités qu’il est difficile, dans un premier temps, de les nommer. Cela paraît tellement évident que cela est «transconscient». Et quand on interroge l’équipe sur ses pratiques, il lui faut un certain temps pour arriver petit à petit à nommer, construire dans la parole, les principaux éléments qui vont bien au-delà de ce qui était enseigné à un moment donné, c’est-à-dire la toilette en technique «vous lavez le quart supérieur droit, puis le quart supérieur gauche».
1 Charles Baudelaire, LES FLEURS DU MAL.
2 Les changements de position restent essentiels afin de prévenir les escarres